Édition jeunesse numérique dans le monde arabe : entretien avec Lina Said et Tamer Said (Kalimat)

10/07/2014 / Octavio Kulesz

La littérature jeunesse constitue un secteur éditorial particulièrement dynamique du marché du livre mondial. Pour des raisons à la fois techniques et commerciales, les maisons d’édition jeunesse doivent fournir des efforts considérables afin de suivre le rythme de la transition numérique. La maison d’édition Kalimat, fondée en 2007 à Sharjah par Sheikha Bodour Al Qasimi en est un exemple parlant. Nous retranscrivons ici notre entretien avec Lina Said – développeuse de logiciels au sein de la maison d’édition – et Tamer Said – directeur du développement commercial.

Qu’est ce que Kalimat?

Tamer : Le groupe Kalimat est un jeune groupe d’édition comprenant deux marques éditoriales. Nous avons commencé il y a sept ans avec la marque principale, appelée Kalimat, qui cherchait à répondre à une demande du marché en matière de littérature jeunesse arabe, en fournissant les meilleurs livres en termes de contenu, d’illustrations, de mise en page, de graphisme, avec une ambition particulière : offrir aux enfants arabes des contenus pédagogiques en arabe. Au cours de ces 7 années nous avons connu de grandes réussites : nous avons été nominés à deux reprises dans la catégorie meilleur éditeur de l’année par la Foire internationale du livre de Bologne, nous avons également été nominé dans la catégorie meilleur éditeur par la Foire du livre de Londres, et nous avons reçu une mention spéciale du Bologna Ragazzi Award pour un de nos ouvrages. Nous avons également reçu plusieurs prix dans le monde arabe – un grand nombre de nos publications sont présentes dans les listes de lectures recommandées établies par les organisations qui œuvrent à la promotion de la littérature jeunesse.

Il y a quatre ans, nous avons identifié un manque de contenus parascolaires de qualité dans le monde arabe, particulièrement en ce qui concerne la langue arabe et les études arabes. Nous avons donc entrepris de développer un nouveau contenu qui peut être utilisé dans les salles de classe. Nous avons commencé avec un projet mis en œuvre dans 34 écoles pendant quelques mois, et nous avons ensuite procédé à un programme d’évaluation avec les enseignants et élèves, nous avons aussi réalisé des enquêtes et des évaluations jusqu’à ce que nous décidions de lancer Horouf : une nouvelle marque éditoriale dédiée aux contenus pédagogiques en langue arabe. Puisque la technologie numérique nous permet d’ajouter plus de fonctionnalités aux livres à un prix plus abordable et sans limites en termes de logistiques, nous avons choisi de miser sur la technologie pour le projet Horouf. Nous avons décidé d’offrir au format numérique ce que nous ne pouvons offrir en imprimé : nous n’avons pas créé de concurrence entre les deux formats. Nous cherchons à offrir une plus grande variété, une gamme plus vaste d’activités et de pratiques au grand public.

 


Et comment aviez-vous envisagé ces premières expériences avec le monde numérique ? Aviez-vous de l’expérience préalable ?

Tamer: Oui, nous avions de l’expérience grâce à Kalimat. Le tiers des ouvrages édités chez Kalimat a été développé au format électronique et sous forme d’applications. Nous avions donc une expérience de l’édition numérique. Nous avons commencé à rechercher des talents : des personnes issues du domaine de l’édition numérique qui comprenaient la technologie. Nous savions quels étaient les besoins requis, particulièrement grâce au soutien de ma collègue Lina qui s’est jointe à notre équipe. Par la suite, nous avons recruté des développeurs pouvant travailler avec nous en offrant des outils vraiment uniques puisque nous – en tant que maison d’édition – nous ne pouvions pas tout faire en interne, particulièrement en ce qui concerne le graphisme, les animations, la conversion et les développements technologiques, le système de sauvegarde, les outils de suivi pour les apprenants et enseignants, etc. Mais pour ce qui est de la conception, elle provient de l’équipe interne.

Horouf est donc une application permettant de créer de nouveaux livres électroniques?

Lina: En réalité, c’est quelque chose de différent. L’application est le produit final, c’est l’aboutissement de notre production, mais ces ouvrages sont créés par un logiciel-auteur que l’équipe a développé pour nous – un outil permettant de créer des histoires interactives. Pour le contenu d’Horouf, nous cherchions à créer un contenu pédagogique et nous n’arrivions pas vraiment à trouver de solution. Nous avons développé des pilotes et cherché quelle était la meilleure option parmi les offres de différentes sociétés. Nous nous sommes rendus compte que nous avions besoin d’un format d’écriture interactif parce que nos produits ne tiennent pas seulement une fonction de divertissement, et nous ne croyons pas en la production d’ouvrages interactifs pour enfants dépourvus de fonctions éducatives.

Nous avons rencontré deux problèmes que les logiciels-auteurs ont finalement résolus : 1) le texte, car le texte en arabe posait problème en format ePub à l’époque; et 2) le graphisme, car un livre pour enfants contient des illustrations, est en couleurs, etc. et chaque illustrateur a son propre style, il était donc difficile de les animer. Peut-être qu’avec l’ePub3 on peut ajouter une vidéo, mais je crois que cela fonctionne davantage avec les ouvrages linéaires : par exemple, des livres sur la géographie qui contiennent une vidéo sur la géographie, etc. Les livres pour enfants sont différents : sur nos stands lors de foires du livre nous avons exposé des tablettes avec l’application Horouf pour que le public en fasse l’expérience, et les commentaires recueillis auprès des adultes sont différents des commentaires recueillis auprès des enfants. Les enfants se sont approprié l’application d’une façon très différente. En général, certains adultes ne sont pas à l’aise avec la technologie. Les enfants au contraire sont rapidement à l’aise avec l’application, et sans y réfléchir à deux fois ils cliquent sur les boutons, et en moins d’une minute ils trouvent leur chemin et comprennent comment elle est conçue, comment elle est structurée, ce qu’ils veulent faire, etc.

Selon vous qui prendra la décision de se procurer l’application : les parents ou l’enfant ?

Tamer: C’est une question difficile en raison de la manière dont nous les commercialisons : puisqu’elles ont un but pédagogique, nous ciblons les enseignants et les ministères de l’éducation. Avec les consommateurs individuels, oui, c’est encore le père et la mère puisque ce sont eux qui paient la licence au final. Mais je crois que nous réussissons à les convaincre quand nous leur montrons comment leurs enfants interagissent avec le contenu.

Selon votre expérience, quels changements devraient être apportés en termes de technologie, modes de paiement, marketing, etc. pour que l’industrie de l’édition numérique soit dynamisée ?

Lina: La question du paiement est un des enjeux principaux. Je crois, par exemple, que les sociétés de télécommunication pourraient coopérer davantage, et faciliter la vente d’ouvrages par le biais des opérateurs. Plus de possibilités de paiement seraient les bienvenues, parce que parfois c’est difficile pour les parents et les consommateurs de se procurer un produit. Nous devons offrir à nos clients toutes les options de paiement et rendre l’expérience facile et abordable pour tous.

Octavio Kulesz

A propos de l'auteur

Octavio Kulesz is an Argentinian digital publisher and philosopher. In 2007 he founded Teseo, one of the first e-book publishing houses in Latin America. He is the author of the report “Digital Publishing in Developing Countries” (commissioned in 2011 by the Prince Claus Fund and the International Alliance of Independent Publishers), and a Unesco expert on the 2005 Convention.