Nouveaux modèles de distribution : le cas de Paperight (Afrique du Sud)

30/09/2012 / Octavio Kulesz

Un nouveau service proposé en Afrique du Sud vise à changer la façon dont les livres sont distribués dans les pays en développement. Paperight est un système qui ambitionne de « transformer chaque magasin avec une imprimante commune en un service d’impression à la demande ». Tous les magasins peuvent s’inscrire sur paperight.com pour obtenir des contenus éditoriaux prêts à être imprimés et achetés par leurs clients. Paperight a été développé par Electric Book Works par l’expert Arthur Attwell et bénéficie aujourd’hui du soutien de la Fondation Shuttleworth. Nous reproduisons ici la conversation que nous avons eue avec Arthur au sujet de cette plateforme.

1) Comment fonctionne Paperight ?

Les magasins de reprographie sont, dans les faits, des distributeurs de livres. Ils font face à une énorme demande de livres dans le monde, bien qu’ils le fassent de façon informelle – et souvent illégale – par le biais des photocopieuses. Nous essayons de les ramener vers le commerce formel en rendant leur travail simple et légal. Ils développeront ainsi leur activité d’impression et les éditeurs obtiendront, grâce à eux, des revenus plus importants. Notre site web propose un important catalogue de livres que les magasins affiliés peuvent mettre sous licence et imprimer pour leurs clients d’un simple click. Les éditeurs sont rémunérés pour chaque licence.

2) Y a-t-il des différences de prix entre une publication par Paperight et un livre traditionnel ?

Sur le territoire sud-africain, les publications de Paperight sont généralement vendues 20% moins cher par rapport au prix de vente public du même livre au format traditionnel. Mais dans d’autres pays les droits et les coûts d’édition et d’impression peuvent varier. S’il est parfois impossible d’avoir un prix de vente inférieur à celui des livres traditionnels, nous pouvons en revanche obtenir une meilleure accessibilité des oeuvres car chaque magasin peut devenir point de ventes pour nos livres, n’importe où dans le monde. De cette façon, nous faisons en sorte que le coût global du livre baisse : je fais ici non seulement référence au prix de vente du livre, mais aussi au coût nécessaire pour se rendre dans une librairie, au fait que le livre risque d’être épuisé, à l’attente d’une livraison, aux complications liées au fait d’obtenir une carte de crédit.

3) Combien gagnent les éditeurs, si nous comparons avec les ventes de livres traditionnelles ?

Tout dépend des éditeurs car ce sont eux qui fixent leurs propres marges. Nous traitons cette question de deux façons différentes, en fonction des marchés. Tout d’abord, il s’agit d’une licence pour la réimpression, et ce type d’accord implique historiquement des marges de 5 à 10%. Cela nous semble donc bien si les éditeurs fixent leurs marges à 5 ou 10% du prix de vente public du livre traditionnel. Par ailleurs, Paperight vend aussi ses livres dans les circuits de vente habituels, et dans ce cas l’éditeur doit gagner la même chose que pour une édition traditionnelle. Dans l’édition traditionnelle, une fois décomptés les coûts d’impression, d’envoi, de logistique et autres, les éditeurs gagnent environ 25 à 30% du prix de vente public. C’est pourquoi, fixer une marge autour de 25 ou 30% nous paraît raisonnable.

4) Que se passe-t-il si les magasins impriment des exemplaires supplémentaires, sans payer les licences ?

Nous savons que cela arrivera, de la même façon que les livres traditionnels sont photocopiés sans contrôle. La question centrale est : comment faire pour limiter ce problème et apprendre de lui ? Notre stratégie est donc double. D’abord, nous cherchons à nous assurer que les magasins savent que copier sans licence est illégal. Souvent, la source du problème réside simplement dans l’ignorance. Ensuite, nous essayons de mettre en place un mécanisme qui permette de suivre de près les exemplaires imprimés. Chaque page imprimée porte un tatouage numérique avec les détails de la licence et de la transaction renvoyant à une adresse web abrégée. Quand quelqu’un se rend à cette adresse, le système permet de faire un mapping des documents qui sont en train d’être lus et aide à détecter les éventuels cas de sur-copiage. Nous travaillons aussi avec les éditeurs pour créer des pages web de qualité à partir de ces URL, pour que les clients aient envie de les visiter. Bien entendu, nous annulerons les comptes de chaque magasin suspecté d’abuser du service.

5) Comment contrôlez-vous la qualité des impressions ?

Nous ne la contrôlons pas. La qualité dépend des magasins et des exigences de leurs clients. Ce qui nous importe c’est plutôt : pouvons-nous fournir les contenus dont les gens ont besoin ?

6) Quels types de livres trouve-t-on sur Paperight ?

Nous avons commencé avec environ 1000 titres majoritairement issus du domaine public ainsi que des livres ayant une licence de libre diffusion. Nous avons construit notre sélection avec un grand soin, afin de couvrir les besoins du marché : livres éducatifs de grande qualité, livres sur la santé, mais aussi des livres de développement personnel. Sur notre blog, nous avons mis des notices très détaillées des titres de cette sélection. Nous travaillons actuellement avec des éditeurs dans le but d’obtenir plus de contenus au cours de l’année 2012. Semaine après semaine nous rentrons en contact avec de nouveaux éditeurs.

7) Pourtant, les eBooks ne risquent-ils pas de rendre inutile le besoin d’imprimer ?

C’est une idée très séduisante. Sur les marchés les plus riches, cela se passera sans doute ainsi. Mais dans les zones reculées, quand les populations manquent de matériel informatique et n’ont pas de connexion dans leurs maisons, les eBooks ne solutionnent pas le problème de l’accessibilité. Et si les téléphones mobiles sont très utiles pour certains types de contenus, il est sûrement beaucoup plus difficile d’étudier le génie mécanique ou l’architecture sur l’écran d’un portable ! Quand bien même le coût de l’informatique chuterait de façon continue, il y aura toujours des personnes qui auront besoin de documents imprimés.

8) Comment les clients savent-ils que les livres sont disponibles sur Paperight ?

Pendant que nous attendons que notre catalogue pour téléphone mobile soit disponible – ce qui sera le cas avant la fin de l’année –, nous diffusons nos livres dans des magasins et dans certaines institutions éducatives. Nous leurs offrons à tous un grand poster détaillant les 50 principaux titres. Par exemple, nous annonçons dans les écoles et les universités que nous avons dans notre catalogue des annales d’examens des années antérieures.

9) Comment font les clients pour trouver les magasins liés à Paperight ?

Nous sommes en train de préparer une carte que nous ajouterons bientôt sur notre site. Dans beaucoup de rues on peut voir le poster et le logo de Paperight, en particulier dans la ville du Cap, où nous faisons la promotion de notre service avec le plus de vigueur. Nous nous appuyons aussi sur les conseils des clients qui souhaitent acheter les livres de Paperight dans leur magasin de proximité favori : parlez-nous de ce magasin et nous le contacterons pour lui proposer notre service, n’importe où dans le monde.

10) D’autres entreprises proposent-elles un service similaire ?

Pas que je sache, non. Nous aimerions avoir des concurrents. Cela favoriserait la diffusion du concept auprès du public.

11) Comment t’es venue l’idée de Paperight ?

Avec Electric Book Works, en 2008, nous avons mené deux projets de recherche sur l’industrie de l’impression à la demande (Print on Demand, POD) et son impact possible en Afrique. Nous en avons conclu que le POD, tel que les éditeurs l’utilisent actuellement, n’allait pas résoudre les problèmes les plus urgents de la distribution des livres sur le continent. Ces imprimeries sont de grandes entreprises, centralisées et concentrées dans les villes. D’autre part, la spectaculaire Espresso Book Machine impliquait un coût trop élevé pour n’importe quelle entreprise. Nous avions besoin d’une solution qui s’appuie sur l’infrastructure existante : des imprimantes laser communes, l’Internet bas débit, et des dispositifs de distribution de eBooks que les éditeurs sont de toute façon en train de mettre en place. En tant que consultants spécialisés dans la production de eBooks, nous étions bien placés pour transformer cette situation en modèle économique.

12) J’en profite pour te poser quelques questions sur des sujets concernant l’Afrique du Sud. Tout d’abord, certaines études récentes affirment que la vitesse de la bande passante mobile en Afrique du Sud est remarquablement haute, y compris en comparaison avec celle des États-unis. Qu’en est-t-il ?

Les opinions divergent sur ce point, mais quoi qu’il en soit, ces vitesses élevées sont la conséquence de la demande de données. À l’image de ce qui se passe dans un grand nombre de pays en développement, les réseaux cellulaires dépassent largement les lignes de téléphonie fixe. Les opérateurs de téléphonie mobile travaillent très dur pour conserver leur position sur le marché, et cherchent à concurrencer la vitesse de Telkom, le monopole des lignes de téléphonie fixe. Malgré tout, cela touche uniquement les zones urbaines et riches d’Afrique du Sud, c’est-à-dire, un quart de la population.

13) En Afrique du Sud on trouve un certain nombre d’initiatives – comme M4LitFundza et Bozza – dédiées à la diffusion de la lecture numérique. Ces projets ont-ils une répercussion sur le reste du continent ? Qu’en est-t-il pour Paperight ?

Pas que je sache – bien qu’il y ait sans doute beaucoup de personnes qui tentent d’y parvenir. Les lecteurs ont tendance à être très localisés, et tout ce qui entoure la lecture – les listes des meilleures ventes, les clubs de livre, les campagnes de promotion – est difficilement transposable d’une région à l’autre. Ce qui complique encore la chose, c’est qu’il n’y a pas de moyen de paiement par Internet ou par téléphone d’un pays africain à l’autre. De telle sorte qu’il est très délicat de mettre en œuvre des modèles économiques panafricains.

Mais ce n’est pas pour autant que c’est impossible. Avec Paperight nous travaillons énormément pour constituer un marché international qui fonctionne dans n’importe quelle région africaine. Par exemple, nous concluons parfois des paiements via Western Union, malgré la bureaucratie et les commissions, pour pouvoir faire des affaires avec des magasins d’autres pays africains.

14) Ces dernières années, tu as voyagé dans le monde entier et tu es rentré en contact avec des dizaines de grandes entreprises. En réalité, en tant qu’expert des questions numériques, tu pourrais travailler à New York, Londres ou dans n’importe quelle ville ayant une infrastructure technologique extrêmement développée. Pourquoi as-tu décidé de rester dans la ville du Cap et parier si résolument pour un projet low-tech ?

J’aime travailler en Afrique parce qu’il y a un potentiel infini et très peu de concurrence dans ce domaine. Mais ce qui me motive, c’est autre chose. Je considère qu’il est inadmissible que des millions de personnes ne puissent accéder à la lecture en raison du coût élevé des livres. Nous, les éditeurs, nous avons créé une industrie qui transforme la connaissance humaine en un produit cher et inaccessible, et cela doit changer.

Octavio Kulesz

A propos de l'auteur

Octavio Kulesz is an Argentinian digital publisher and philosopher. In 2007 he founded Teseo, one of the first e-book publishing houses in Latin America. He is the author of the report “Digital Publishing in Developing Countries” (commissioned in 2011 by the Prince Claus Fund and the International Alliance of Independent Publishers), and a Unesco expert on the 2005 Convention.
  • Armelle Ngo Ndje

    Bonjour,
    Je suis très intéressée par ce nouveau modèle de distribution des livres sur le marché Africain. J’ai le sentiment d’avoir enfin trouvé la solution à une question qui me taraude depuis un moment: comment rendre le savoir accessible à la grande masse au plus bas prix possible? Sur ce sujet, j’ai néanmoins d’autres questions, concernant notamment les partenariats que vous avez avec d’autres entreprises de reprographie (ou tout simplement vos filiales?) et la possibilité d’étendre le réseau de distribution dans le reste de l’Afrique. Comment peut-on vous joindre pour en savoir plus?
    Merci


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