• Sommaire

    • [+]Préliminaires (3)
    • [+]Introduction (4)
    • [+]Amérique latine (13)
    • [+]Afrique subsaharienne (9)
    • [+]Monde arabe (11)
    • [+]Russie (11)
    • [—]Inde (11)
    • [+]Chine (9)
    • [+]Conclusions (6)
    • [+]Annexes (1)

Inde

Les sites qui commercialisent des publications électroniques. L’apparition d’écosystèmes numériques

Examinons maintenant quelques-uns de ces sites qui, eux, ont fait leurs premiers pas dans le domaine de la distribution de livres et de revues numériques.

La librairie virtuelle Odyssey360, par exemple, propose des e-books au format PDF téléchargeables gratuitement par le biais d’un lien qu’on reçoit par email. Les textes qu’elle publie traitent de marketing, d’informatique, de santé et de développement personnel.

Se présentant comme une « librairie online de littérature indienne », BookGanga propose, outre 14 000 livres papiers, 139 e-books [1] et 54 e-magazines [2], essentiellement en langue marathi. Ces publications, dont le prix dépasse rarement les 2 dollars, peuvent être lues aussi bien sur Windows que sur les dispositifs d’Apple. Pour tout cela, BookGanga a développé son propre software de lecture [3]. Les utilisateurs peuvent feuilleter les premières pages des textes grâce à un système également développé par le site, et basé sur Flash. Signalons que BookGanga constitue un maillon supplémentaire de MyVishwa, une compagnie de technologie informatique dont les bureaux se distribuent entre l’Inde, les États-Unis et l’Australie, et qui a construit un véritable écosystème d’applications web – depuis les jeux vidéo et la musique jusqu’aux emails et aux blogs. Un autre des composants fondamentaux de MyVishwa est ePaper, un système conçu pour lire les versions web de journaux imprimés. On lit sur son site que MyVishwa

… crée un temps pour que vous développiez un centre détendu, organisé et équilibré en votre for intérieur, centre qui irradiera son énergie positive vers toutes les personnes dans les Sept Cercles. MyVishwa, c’est cela : l’Univers dans sa totalité [4].

En janvier 2008, ont démarré d’autre part les activités d’India eBooks, propriété de l’entreprise de software ESource, basée à Delhi et à Toronto. Les prix de ses e-books – issus principalement de maisons d’édition indiennes – vont de moins de 1 dollar [5] jusqu’à plus de 30 [6]. ESource a développé son propre DRM et propose une application de lecture pour les textes en version PDF.

Fondé par Shinu Gupta au milieu des années 1990 aux États-Unis, le site de vente en ligne A1Books a débuté en vendant des livres via le web, à une époque où Amazon était à peine connu. En décembre 2007, l’entreprise a inauguré A1Books India, convaincu que ce marché recélait un potentiel énorme pour l’e-commerce [7]. L’entreprise a récemment présenté sa propre plate-forme de vente d’e-books, dont la plupart proviennent de maisons d’édition internationales et sont commercialisés aux formats ePub, PDF, LIT et Mobi. Ces publications –fournies par l’agrégateur nord-américain Overdrive–, s’avèrent nettement plus chères que celles que propose BookGanga : le visiteur peut en effet tomber sur des e-books en PDF qui coûtent 120 dollars ou plus [8]. Interrogé sur les principaux défis que doit relever un site de vente en ligne en Inde, S. Gupta répond :

La création d’une marque et la densité de circulation sur le site constituent les défis majeurs. Réunir des contenus de qualité est un autre point important sur le marché indien, où l’e-commerce en est à ses balbutiements. Les clients sont très exigeants et ont de grandes connaissances en informatique, alors que les fournisseurs montrent encore de nombreuses lacunes et ne sont pas à la hauteur des circonstances [9].

Parmi les plateformes d’e-commerce qui ont mené des expériences avec les e-books, la plus fréquemment citée est peut-être Infibeam. Créé en 2007 par un autre employé de Amazon –Vishal Mehta–, ce site, dont le siège est situé à Ahmedabad, imite son concurrent nord-américain sur des aspects qui vont de l’esthétique –comme le logo ou la mise en page du site web– au commercial. Infibeam affirme avoir à son catalogue de livres physiques environ 10 millions de titres, ce qui fait d’elle la plus grande librairie de l’Inde. En janvier 2010, Infibeam a accaparé l’attention des médias locaux et internationaux en annonçant le lancement de Pi, son propre e-reader à encre électronique et écran tactile, pour un prix initial de 220 dollars. Outre son coût relativement accessible et sa batterie longue durée, Pi présentait un autre avantage considérable par rapport au Kindle : il permettait de lire en hindi, en sanscrit et dans 13 autres langues de l’Inde. Les e-books et revues électroniques –au format ePub, PDF et LIT– que les utilisateurs trouvaient sur le site d’Infibeam étaient dans leur majorité des éditions internationales dont le prix oscillait entre 12 et 24 dollars, un tarif nettement plus élevé que le prix d’un livre imprimé standard [10]. Selon Sachin Oswal, le vice-président de l’entreprise, cela était dû au fait qu’en Inde les éditeurs n’ont pas encore commencé à numériser leurs contenus, ce qui avait obligé le site à recourir à des agrégateurs internationaux [11]. Pour cette raison, la compagnie a inauguré en mai 2010 son service InDigi, une plate-forme qui permet aux auteurs et aux éditeurs de télécharger leurs œuvres et de les commercialiser par le biais du portail e-books d’Infibeam [12]. Ainsi, aujourd’hui, on trouve déjà des textes en provenance de maisons d’édition locales à des prix beaucoup plus compétitifs –certains coûtent à peine 1 dollar.

En plus des e-books acquis par le biais d’Infibeam, Pi permet à l’utilisateur de lire ses documents personnels, sans obstacles techniques ni coût supplémentaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles S. Oswal insiste sur l’impact qu’un dispositif comme Pi pourrait avoir dans les écoles indiennes :

Grâce à sa batterie dont l’autonomie dépasse une semaine, un Pi peut être partagé entre quatre ou cinq élèves. Cela s’avère particulièrement efficace en zone rurale, où les ressources et l’électricité sont réduites [13].

Il est difficile de ne pas rapprocher ces réflexions des essais d’implantation de Kindles au Ghana que nous avons décrits dans la section consacrée à l’Afrique subsaharienne. Ceci étant, il faut admettre que dans le cas du dispositif Pi, c’est une compagnie locale, complètement imprégnée des problématiques concrètes du pays, qui mène à bien le projet. Finalement, des entreprises natives peuvent donc prévaloir là où Amazon et d’autres sociétés du Nord ont échoué. De fait, Amazon aurait toutes les peines du monde à concevoir autant de Kindles qu’il y a de zones idiomatiques en Inde ; il lui serait encore plus difficile de réduire les coûts d’envoi de manière à ce que son dispositif soit capable d’entrer en concurrence avec ceux qui ont été conçus in situ. Ici, la question est de savoir qui va imposer le standard de hardware, pour ensuite retenir la commercialisation des contenus. Amazon l’a parfaitement compris, et a donc abaissé le prix du Kindle à un niveau proche du coût de fabrication [14]. Car l’entreprise qui imposera son standard aura plus de chances d’obtenir, non seulement le contrôle du marché B2C, mais aussi la première place au moment d’appels d’offres publics. En effet, l’État indien a approuvé en janvier 2010 un plan de réduction de la fracture numérique dans diverses écoles du pays, accompagné d’un investissement en software, hardware et contenus électroniques qui dépasse 1,5 milliard de dollars : ce chiffre donne une idée précise de ce qui est jeu ici [15]. Consciente de la course qui se livre actuellement pour le contrôle du hardware et des contenus, Infibeam – qui a déjà commencé à travailler avec des institutions éducatives indiennes [16] – a présenté en juillet 2010 sa propre tablette utilisant le système opératif Android –nommée Phi– pour concurrencer l’iPad ; quelques mois plus tard, elle a introduit sur le marché la deuxième version de l’e-reader Pi, dotée maintenant d’une connectivité wifi et de plus de mémoire, entre autres améliorations par rapport au premier modèle [17].

Outre Infibeam, on trouve en Inde un autre projet intéressant associant plate-forme en ligne et dispositif de lecture : DC Books / EC Media. Vers 1974, l’écrivain et activiste kéralais Dominic Chacko Kizhakemuri – surnommé « DC » – inaugurait la librairie DC Books. Avec le temps, la compagnie allait se transformer en un formidable consortium –DC Group–, développant des activités aussi variées que l’édition, l’informatique, la radio et même l’hôtellerie. DC Books dispose aujourd’hui d’un catalogue d’environ 10 000 titres, essentiellement en langue malayalam ; la maison d’édition a publié plusieurs livres de Vargas Llosa, ainsi que la saga de Harry Potter dans cette langue. L’information importante, c’est que le groupe détient 60 % d’EC Media [18], une entreprise fondée en 2009 à Bangalore et dont l’objectif explicite est de distribuer sur le marché indien des e-readers et des contenus à des prix accessibles, aussi bien en anglais que dans les langues régionales [19]. Le portail d’EC souhaite la bienvenue aux utilisateurs avec cette citation de l’écrivain nord-américain Ralph Lombreglia :

L’authentique réponse artistique à la technologie numérique, c’est de l’adopter comme une nouvelle fenêtre donnant sur l’éternellement humain, et de l’utiliser avec passion, sagesse, sérénité et joie.

En août 2010, EC Media a présenté le Wink, un e-reader à encre électronique, doté d’un clavier analogique et d’une interface préparée pour fonctionner en anglais et dans 15 autres langues parlées en Inde [20]. Le modèle standard de 6 pouces coûtait en février 2011 environ 200 dollars, alors que la version XLite de 5 pouces, lancée en décembre 2010, se vendait à 180 dollars. La stratégie d’EC Media a été de construire un véritable écosystème autour du dispositif. Pour commencer, les utilisateurs peuvent trouver dans le WinkStore plus de 200 000 e-books et revues numériques, aux formats ePub et PDF, avec DRM. Certaines de ces publications peuvent être téléchargées gratuitement, alors que d’autres peuvent coûter jusqu’à plus de 200 dollars [21]. Le site de vente en ligne dispose déjà de titres en hindi [22], marathi [23], malayalam [24] et kannada [25], entre autres langues. Selon les termes de Ravi DC –directeur général d’EC Media :

Avec son riche héritage culturel, l’Inde compte une pléthore de langues, de telle sorte qu’il était essentiel que nous introduisions un produit qui bénéficie à cet héritage ainsi qu’à l’histoire et à la littérature de notre pays, aussi vastes l’une que l’autre. Notre idée est de développer des contenus nationaux et internationaux, incluant des versions numériques d’œuvres imprimées qui, à ce jour, circulaient peu ou étaient épuisées [26].

À moyen terme, EC Media projette d’édifier cinq autres grands piliers autour du Wink : WinkWire –un périodique électronique personnalisable– ; Winkeractive –un réseau social de recommandations de livres– ; WinkPublish –une nouvelle maison d’édition qui publiera environ 10 titres par mois- ; MagsonWink –une application pour dispositifs mobiles– ; et My Wink, My Words –un concours littéraire pour jeunes auteurs [27]. Les directeurs d’EC Media sont pleinement conscients qu’ils ne peuvent baser leur commerce sur la seule vente de dispositifs. Pradeep Palazhi, le directeur exécutif de l’entreprise, explique :

Le contenu est roi. Une compagnie dont les revenus gravitent exclusivement autour du dispositif n’est pas viable. Seuls prospéreront les business models qui fonctionnent à partir des contenus, des communautés de clients et de la valeur ajoutée [28].


Notes    
  1. Cf. “eBooks”, BookGanga.
  2. Auparavant cité.
  3. Cf. “To read eBooks, download the latest version of eBook Reader”, BookGanga et “BookGanga Reader”, iTunes Preview.
  4. Cf. “Our Philosophy”, MyVishwa.
  5. Cf. par exemple : Changing Image of India.
  6. Cf. par exemple : Encyclopaedia of Mathematics.
  7. Cf. “Times Internet (Indiatimes) acquires 50% stake in online book marketplace A1Books”, Alootechie, 31 juillet 2008.
  8. Cf. par exemple : “Game Theory and Business Applications [eBook]”, A1Books India.
  9. Cf. “Interview of the week: Shinu Gupta, CEO, A1Books”, Webnewswire, 30 novembre 2009.
  10. Par exemple, le titre In Pursuit of Ecstasy, de Sujata Parashar, est vendu en version imprimée pour à peine 1,5 dollar ; l’envoi dans tout le territoire indien est, en outre, gratuit.
  11. Cf. Chaturvedi, Pooja : “E-book reader for Indian languages”, Livemint, 30 mai 2010.
  12. Cf. “Infibeam.com Extends eBooks Platform with Digitization, Distribution and Print On Demand”, India PR Line, 5 juillet 2010.
  13. Cf. Chaturvedi, Pooja : op. cit.
  14. Cf. Gallagher, Dan : “Does Amazon Make Money on the Kindle?”, Digits. The Wall Street Journal Blogs, 28 janvier 2011.
  15. Cf. Sibal, Kapil : “1 lakh govt schools to go ‘smart’”, The Times of India, 10 janvier 2010.
  16. Cf. Chaturvedi, Pooja : op. cit.
  17. Cf. “Infibeam Announces Pi2 – An Upgraded Version of Pi with Touch and Connectivity”, Infibeam, 20 janvier 2011.
  18. Cf. Lison, Joseph : “Two Indian e-readers set to hit market”, Livemint, 1er février 2010.
  19. Cf. “About EC Media”, EC Media.
  20. Le nom Wink vient de “without ink” –“sans encre”.
  21. Cf. Medicine, Magic and Religion: The FitzPatrick Lectures delivered before The Royal College of Physicians in London in 1915-1916, sur Wink Store. Curieusement, il y a dans le Wink Store bon nombre de titres en double, commercialisés à des prix différents. Le lecteur peut trouver une version de l’œuvre de W. H. R. Rivers que nous venons de citer pour seulement 14 dollars. Cf. Medicine, Magic and Religion, sur Wink Store.
  22. Cf. Bansuri Samrat Hariprasad Chaurasia, sur Wink Store.
  23. Cf. Truth About Making Smart Decisions, sur Wink Store.
  24. Cf. Vilapalm, sur Wink Store.
  25. Cf. Krushi Ssampada, sur Wink Store.
  26. Cf. Tankha, Madhur : “A record 40,000 visit Delhi Book Fair”, The Hindu, 2 janvier 2011.
  27. Cf. Kurup, Deepa : “Digital publishing in regional languages”, The Hindu, 12 janvier 2011.
  28. Cf. Murali, D. : “When eReaders nudge into bookshelves”, The Hindu, 8 octobre 2010.

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