Ventes de livres numériques dans le monde arabe : interview avec Salah Chebaro (NWF)

02/07/2014 / Octavio Kulesz

Le commerce électronique est en plein essor dans les pays émergents. Dans le monde arabe, en dépit des obstacles liés aux paiements en ligne, au piratage et questions logistiques, le potentiel de ventes en ligne est considérable. Voici notre interview avec Salah Chebaro, directeur et fondateur de Neelwafurat (NWF). La société est la plus importante librairie en ligne dans la région et a récemment commencé à vendre des livres numériques. 

Quelle était votre projet en fondant Neelwafurat?

Le projet Neelwafurat (NWF) est similaire à celui d’Amazon pour les livres imprimés et numériques. Nous avons débuté en 1998 et sommes rapidement devenus la plus importante librairie arabe en ligne, avec près de 450 000 références principalement en provenance du Liban, de la Syrie, de la Jordanie, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite. En ce qui concerne les livres numériques, nous essayons de couvrir tous les pays arabes puisque que nous ne connaissons pas de limitations logistiques ou en termes de frontières. Notre but est d’atteindre les lecteurs arabes à l’intérieur et à l’extérieur du monde arabe, forts du catalogue le plus complet de livres imprimés et numériques en arabe à ce jour. Nous croyons devoir fournir à nos clients le meilleur service possible et les meilleurs titres. En effet, si nous offrons des livres numériques sous format PDF, personne ne les achèterait puisqu’ils n’auraient pas de valeur ajoutée.

Nous sommes confrontés à des problèmes de piratage majeurs dans le monde arabe, et c’est pourquoi nous devons offrir un produit unique – comme par exemple de beaux fichiers ePub. Je sais que c’est ardu et difficile, mais j’espère sincèrement que nous saurons bâtir une alliance d’éditeurs internationaux pour lutter contre le piratage à l’échelle internationale : il s’agit d’un problème planétaire qui affecte tous les maillons de la chaîne, de l’auteur à l’éditeur, en passant par la librairie, l’agrégateur et le distributeur, jusqu’au lecteur. C’est un enjeu qui nécessite la coopération de tous.

Avez-vous rencontré des problèmes techniques avec iKitab concernant les typographies arabes ?

En réalité, il a été difficile de créer notre premier livre numérique, particulièrement parce que nous avons eu des problèmes avec les polices de caractères arabe. L’arabe ne figure pas parmi les priorités des sociétés internationales, donc même aujourd’hui, l’arabe n’est pas supporté par toutes les tablettes Android. Au début nous devions mettre en œuvre des solutions adaptées pour que les polices de caractères apparaissent correctement. Par exemple, tous les programmes qui affichaient le fichier ePub se lisaient de gauche à droite ; nous avons donc dû inverser le contenu de droite à gauche.

 

 

La conversion a été – et demeure – un autre enjeu. La plupart éditeurs arabes n’ont jamais pensé que leur travail serait un jour numérisé et ils n’ont que des films ou, au mieux, des fichiers PDF qui ne sont que de simples images des livres, mais pas le texte lui-même. Tout cela nous oblige à appliquer le procédé de reconnaissance optique de caractères (OCR), mais l’OCR en arabe n’est pas nécessairement exacte, et nous devons donc passer beaucoup de temps à effectuer des corrections manuellement. Il n’existe pas de solution toute faite que nous pouvons simplement acheter et exécuter. Il nous faut constamment appliquer des solutions faites sur mesure afin de résoudre les spécificités propres à la langue arabe.

Afin de résoudre ces problèmes, qui selon vous devrait prendre l’initiative ? Les sociétés technologiques ? Les éditeurs ? Les gouvernements ?

Ajourd’hui, nous ne pouvons pas vraiment compter sur l’aide des gouvernements. Les gouvernements sont intéressés par la situation d’ensemble – ils mettent davantage l’accent sur des grandes stratégies. Nous cherchons à construire une solution, qui fonctionnerait pour nous, pour vendre à la fois des livres imprimés et numériques.  Nous collectons des statistiques et des commentaires sur notre site web – « Veuillez indiquer quels titres vous achèteriez en format numérique ». Grâce à ces données, nous avons classé les 1 000 livres numériques les plus populaires auprès du public, et nous priorisons la conversion de ces œuvres. Ainsi, nous n’avons pas à financer la conversion de 50 000 titres : nous commençons avec les œuvres les plus demandés. Après avoir effectué cela, nous procéderons de la même façon avec le prochain lot de titres, pour peut-être en arriver à convertir tout le catalogue.

De plus, nous essayons d’établir un partenariat avec des entités dans le monde arabe qui souhaitent créer des bibliothèques numériques et qui ont les moyens financiers pour le faire. Nous leur disons ceci: « D’accord, vous voulez développer une bibliothèque numérique pour les étudiants et les universités, nous pouvons le faire pour vous. Nous allons également rendre ces œuvres disponibles pour vente en ligne ». Il s’agit d’une situation gagnant-gagnant : puisque la conversion est coûteuse, nous essayons d’abord de créer une demande. Nous ne voulons pas procéder à la conversion et ensuite attendre la demande. C’est une approche différente qui nous aide à financer notre projet dans son ensemble.

En ce qui concerne les paiements en ligne, comment décririez-vous la situation actuelle dans la région arabe ?

Les paiements en ligne s’améliorent dans le monde arabe, bien qu’il ait fallu beaucoup de temps avant de changer la culture. En effet, nous avons l’habitude de peu utiliser les cartes bancaires, mais elles sont nécessaires pour les achats en ligne. Ceci dit, nous sommes aujourd’hui confrontés à deux enjeux. Nous avons des pays où les consommateurs préfèrent ne pas utiliser de cartes bancaires, bien que leur pays respectif offre l’infrastructure nécessaire. Et il y a des pays qui n’offrent pas de services de cartes bancaires. Dans ce cas, nous devons mettre en œuvre de nouvelles méthodes de paiement, par exemple par le biais de Western Union ou virements bancaires. Il ne s’agit pas d’outils appartenant à l’ère électronique, certes, mais malheureusement il faut parfois improviser dans une région comprenant 22 pays et 22 systèmes différents.

Octavio Kulesz

A propos de l'auteur

Octavio Kulesz is an Argentinian digital publisher and philosopher. In 2007 he founded Teseo, one of the first e-book publishing houses in Latin America. He is the author of the report “Digital Publishing in Developing Countries” (commissioned in 2011 by the Prince Claus Fund and the International Alliance of Independent Publishers), and a Unesco expert on the 2005 Convention.