Les téléphones mobiles et l’édition au Burkina Faso

30/09/2012 / Octavio Kulesz

Jean-Claude Naba est né le 19 mai 1956 à Fada N’Gourma, Burkina Faso. Depuis 1993, il est enseignant au département des études germaniques de l’Université de Ouagadougou. En 1995, il crée la maison d’édition «Sankofa et Gurli », qui s’est fixé comme objectif la promotion de la littérature en agissant sur divers plans complémentaires que sont l’écriture (soutien et suivi des auteurs), la lecture (communication suivie avec le public), la promotion et la diffusion. Jean-Claude Naba a été Président de l’Association des éditeurs du Burkina Faso (ASSEDIF) en 2004.

Tu penses qu’au Burkina les petits téléphones portables pourraient servir comme plateforme de publication, puisqu’il s’agit d’un réseau qui existe déjà ?

Oui. À la condition qu’on puisse trouver un compromis entre la taille des écrans et les caractères des ouvrages qu’on va publier, parce que c’est vrai qu’il y a beaucoup de téléphones portables sur le marché mais c’est vrai aussi que les écrans n’ont pas tous la même dimension. Donc je peux très bien imaginer qu’en se servant surtout des formats les plus grands on puisse promouvoir la publication électronique.

Et tu penses ici à des publications en français ou en langues locales ?

Les deux, je pense que les deux sont possibles. Ce qui est sûr c’est qu’il faudra changer les habitudes des gens ou plutôt leurs inculquer une nouvelle habitude qui est de lire des textes un peu plus longs qu’un SMS sur leurs téléphones portables. Selon le cas, il se peut que l’effort à faire du côté des populations rurales (qui sont celles qui en général parlent en langues africaines) soit plus grand, puisque ces populations ont le moins l’habitude de la lecture. Mais paradoxalement il se peut aussi que ce soit dans cette direction que les choses aillent plus vite parce que ces populations ont un besoin de lecture qui n’est pas couvert.

Mais au niveau technique, l’utilisation de téléphones portables en langue locale, c’est une complication ?

On ne peut pas donner une réponse générale à la chose parce qu’il y a des langues où il n’existe aucun problème, comme ma langue, par exemple (là il n’y a pratiquement aucun problème, je peux écrire l’intégralité des sons de la langue en me servant des caractères déjà disponibles), mais il y a un certain nombre de langues pour lesquelles il faudra certainement créer des caractères. En réalité, ce n’est pas « créer », parce qu’ils existent déjà : en Internet par exemple il y a des logiciels spéciaux pour les ordinateurs ; il faudra trouver le moyen de transférer ces caractères spéciaux sur les portables ou de les mettre à disposition d’une façon ou d’une autre ; c’est un problème plus technique. Ou alors, mais ça devient un peu plus compliqué, les portables donnent la possibilité de choisir parmi différentes langues, et il arrive parfois qu’en allant chercher dans une autre langue, je trouve un caractère qui est utile pour celle dans laquelle je veux écrire. Par exemple, en turque je trouve un caractère que je peux utiliser pour le mooré. Il faudrait, en tant qu’utilisateur, que je sois au courant de cette possibilité, que j’aille chercher de façon ponctuelle. Ce n’est pas simple. Mais ce sont des variations possibles.

Et tu connais des expériences qui ont été faites autour de ceci ou pas encore ?

Non, je n’en connais pas. Je sais que pour ce qui est de l’ordinateur en tout cas nous passons le temps à le faire, mais pour ce qui est du portable je n’en connais pas.

Et à part les livres écrits, étant donné que la tradition orale est très forte en Afrique, les audiolivres peuvent aussi devenir une possibilité intéressante pour les téléphones portables ?

Oui, absolument, je crois que l’audiolivre a même de beaux jours devant lui, parce que déjà il y a un phénomène multiple qui s’est développé (et c’est sur la base du téléphone portable), qui est que par exemple les gens se passent beaucoup de la musique et, lié à ça, qu’ils se passent beaucoup de sketches, par exemple, des historiettes, des blagues, etc., qui circulent de portable en portable. Donc je peux très bien m’imaginer qu’au delà d’une histoire brève qui serait du genre « blague », une histoire un peu plus longue, racontée, puisse être très intéressante sur les portables. Je suis même persuadé que cela marcherait très bien, parce que ça répond à cette institution culturelle qui est la tradition orale.

Et au niveau technique et d’utilisation de l’appareil, comment ça fonctionne ce que tu dis, d’envoyer un sketch audio à quelqu’un d’autre ? C’est cher de l’envoyer, de le recevoir ? Ou c’est du bluetooth ?

Disons que l’envoi ou le transfert de tel fichier audio requiert la proximité physique, puisqu’il s’agit effectivement du bluetooth. Donc pour l’instant c’est comme ça que ça fonctionne. Mais j’oubliais une possibilité d’une importance énorme, surtout au plan économique : parmi les petits emplois qui se créent autour et grâce au téléphone portable, il y a celui – permets-moi le néologisme, je ne connais pas de terme consacré – de « transféreur de sons », c’est-à-dire des gens, des jeunes très souvent, qui ont l’équipement et le savoir nécessaire pour transférer sur un portable musique, sonneries, textes audio, vidéo etc. Notons en passant que le terme « son » a pris une signification toute particulière. Je demanderais à quelqu’un par exemple : « Tu as des nouveaux sons ? », ce qui inclurait musique, sonneries, etc.

Et les opérateurs, les compagnies de cellulaires, pourraient être ouverts à ça ? Ils sont des acteurs très importants dans tout projet de distribution.

Je ne pense pas qu’au Burkina on ait approché à ce jour les opérateurs, pour un tel projet. Mais je pense qu’ils sont ouverts à de telles perspectives tant que ça peut leur rapporter de l’argent. Je sais par exemple qu’on les contacte pour des questions de publicité. Le Comité Électoral National Indépendant les approche par exemple pour leur demander d’envoyer des SMS appelant la population à s’inscrire massivement pour les élections, etc. Donc je peux m’imaginer que si on les approche aussi pour leur demander de faire un pas supplémentaire qui aide à faciliter par exemple le transfert de fichiers, d’améliorer une certaine qualité, un certain service dans la perspective de mieux écrire en langues africaines, etc., je peux très bien m’imaginer que ça pourra les intéresser. L’important étant que ça leur rapporte de l’argent…

Et puis les éditeurs, tu penses qu’ils seront intéressés par ce genre d’expérimentation aussi ?

Je crois que oui, même s’il faut ajouter que ça dépendra certainement des éditeurs, qui, la plupart du temps, réfléchissent encore en termes très classiques, c’est-à-dire : si je dis « édition », je dis « livre », et quand je dis « livre », je dis « livre papier ». Donc s’imaginer qu’on puisse aller du livre papier au livre électronique sur téléphone portable… je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’éditeurs à l’heure actuelle qui soient ouverts déjà à une telle perspective. Mais je pense que leur proposer cela ne fera jamais de mal.

D’autre parte, par rapport à la censure, le gouvernement contrôle beaucoup la circulation des contenus, en général ? Tu penses que c’est encore un facteur à prendre en compte dans tout ceci ou pas vraiment ?

Tu fais bien d’en parler. C’est un domaine qui me fait peur, puisqu’il y a juste quelques jours, le ministre d’Intérieur de Burkina Faso a confirmé que le gouvernement a demandé aux opérateurs de restreindre le service de SMS à fin d’éviter que des manifestants puissent communiquer entre eux. Donc c’est un point très sensible où il faudra vraiment faire attention. Disons que les gouvernements n’hésiteront pas à intervenir dans ce domaine, donc c’est aussi un appel aux mouvements des droits de l’homme, de faire attention à cet aspect, parce qu’il s’agit ici de droits élémentaires de la personne humaine.

Finalement, est-ce qu’il y a des systèmes de paiement par SMS au Burkina, pour payer des services ou acheter des produits, comme il existe en Afrique du Sud ?

Non, au Burkina il me semble qu’il y a eu quelques tentatives mais elles ont échoué, parce que les gens n’ont toujours pas confiance. Pour ce qui est du Burkina, c’est encore vierge en la matière. Il y a eu une expérience mais elle n’a pas abouti.

Jean-Claude Naba

Octavio Kulesz

A propos de l'auteur

Octavio Kulesz is an Argentinian digital publisher and philosopher. In 2007 he founded Teseo, one of the first e-book publishing houses in Latin America. He is the author of the report “Digital Publishing in Developing Countries” (commissioned in 2011 by the Prince Claus Fund and the International Alliance of Independent Publishers), and a Unesco expert on the 2005 Convention.