• Sommaire

    • [+]Préliminaires (3)
    • [+]Introduction (4)
    • [+]Amérique latine (13)
    • [+]Afrique subsaharienne (9)
    • [+]Monde arabe (11)
    • [+]Russie (11)
    • [+]Inde (11)
    • [+]Chine (9)
    • [—]Conclusions (6)
    • [+]Annexes (1)

Conclusions

Le facteur humain

Les technologies constituent bien évidemment un composant clé du sujet qui nous occupe. Cependant, il est vital de prêter attention à ceux qui devront les utiliser, et c’est ici qu’intervient l’importance de travailler sur le facteur humain.

À ce sujet, il faut signaler que de nombreux éditeurs se méfient des outils numériques. Cette réaction – parfaitement compréhensible, vu le changement profond de paradigme qui est en jeu – peut entraîner un cercle vicieux. La crainte du piratage, la difficulté pour trouver un business model qui puisse rapidement se substituer au modèle antérieur, ainsi que le manque de contact avec les acteurs du monde électronique, conduisent nombre de représentants du secteur du livre à craindre les nouvelles technologies, retardant d’autant l’avènement d’une industrie numérique solide.

Ce sont peut-être les nations dans lesquelles la tradition éditoriale est la plus forte – par exemple, les grands et moyens pays d’Amérique latine – qui sont le plus exposées à ce problème. Au contraire, les éditeurs venant de régions dans lesquelles l’industrie du livre a été plus malmenée – comme Haïti ou l’Afrique – voient beaucoup plus vite les opportunités implicites qu’offrent les nouvelles technologies. En tout état de cause, il est intéressant d’observer que sur l’ensemble des personnes interviewées, seulement trois éditeurs – tous les trois latino-américains – ont répondu que la technologie numérique portait directement préjudice à la bibliodiversité. Il semble donc malgré tout que, dans la perception générale, les outils électroniques pourront jouer un rôle de premier plan dans la préservation de la culture.

Il serait donc recommandable de trouver le moyen de remplacer la préoccupation et la peur par la curiosité et le désir d’expérimenter. Selon nous, ce résultat pourrait être obtenu à l’aide d’activités de formation et de networking professionnel, à la condition que ces initiatives, une fois de plus, soient réalisées le regard braqué sur la réalité locale, et non « d’en haut » ou « de l’extérieur ». De fait, il existe dans les pays en développement d’innombrables cours et manifestations traitant de l’ère numérique, mais ceux-ci se basent habituellement sur des outils conçus pour des régions dont la réalité est tellement différente, que ce déphasage ne fait que décourager les auditeurs. Un exemple typique, ce sont les conférences données par des gourous nord-américains ou européens qui insistent sur le fait qu’il est très important de distribuer des livres pour l’iPad. Il est évidemment très intéressant d’apprendre comment certains éditeurs des États-Unis ou d’Europe convertissent leurs titres au format ePub, signent des contrats avec des distributeurs numériques qui, à leur tour, ont des accords avec Apple et, périodiquement, versent un pourcentage déterminé des ventes sur un compte en banque du Nord. Mais pour un éditeur d’Afrique subsaharienne ou de l’intérieur de l’Inde, ce ne sera peut-être rien de plus qu’une anecdote curieuse, un savoir abstrait qui n’aura pas d’application dans le contexte dans lequel il vit. En dehors des secteurs les plus opulents de la société, en Afrique subsaharienne comme dans l’intérieur de l’Inde, les iPads n’existent pas – il n’y a donc pas de marché local pour ce type de plate-forme – et les éditeurs ne disposent pas de comptes en banque dans l’hémisphère nord sur lesquels recevoir d’éventuels dividendes pour des ventes réalisées à l’étranger. Ainsi, pour que la leçon du gourou ait du sens, quelqu’un devrait au moins expliquer quelle est la manière de faire parvenir ces revenus jusqu’aux territoires africain ou indien. Une fois encore, il ne s’agit pas de disqualifier les dispositifs nord-américains ou européens, mais bien plutôt de repenser quel est le type de formation ou de networking dont les éditeurs des pays en développement peuvent le mieux tirer partie. Faut-il se limiter à exhiber des outils et des business models exotiques qui ne parviendront peut-être jamais dans la région en question, ou plutôt partir des demandes et des besoins des entrepreneurs, dans l’objectif d’accroître ses possibilités par le biais d’actions ciblées efficaces ?

De notre point de vue, c’est la seconde option qui est la plus à même d’apaiser l’anxiété tout en encourageant l’exploration. Pour cela, nous recommandons d’agir dans différentes directions :

1) Comme nous le signalons dans l’étude région par région, il faudra mettre en route des séminaires de formation en collaboration avec les différentes institutions qui travaillent déjà sur le sujet : associations d’éditeurs, facultés et centres de formation. Pour se remémorer quelques cas, citons seulement le CAFED en Tunisie, le KITAB dans les Émirats arabes, les journées professionnelles organisées dans les principaux salons du monde en développement (Abu Dhabi, Buenos Aires, Delhi, Pékin, São Paulo, Moscou, Le Caire, Le Cap, Guadalajara, Bogotá, etc.), le cursus édition de l’université de Buenos Aires, l’université du livre à São Paulo, entre autres. Il sera important de centrer la formation sur les problèmes informatiques, juridiques et de marketing, en faisant appel à des experts qui connaissent les limites et le potentiel du terrain et sont en mesure de proposer des réponses ingénieuses.

2) Les séminaires pourront éventuellement prendre la forme de cours virtuels, en différentes langues, réalisées en collaboration avec les institutions déjà présentes sur le terrain, mais proposant la participation d’acteurs d’autres pays. Grâce à des vidéos accessibles sur le web ou à des cours écrits, on pourrait encourager un transfert de savoir Sud-Sud des différentes technologies concernées. Il serait en particulier très profitable de communiquer de cette manière les solutions que certains éditeurs de pays en développement ont déjà élaborées ad hoc.

3) D’autre part, il sera indispensable d’inciter à ce que se rencontrent en personne éditeurs traditionnels, éditeurs numériques, producteurs de hardware et développeurs de software, dans le but de renforcer le plus possible l’« écosystème » industriel local, travaillant pour cela avec l’appui d’acteurs agglutinants – associations d’éditeurs, chambres syndicales de développeurs de software, pépinières de start-ups, salons du livre et secteur public.

4) Parallèlement, il est indispensable de développer des activités (workshops, conférences, expositions) qui mettent en relation les maisons d’édition en général avec les artistes du monde électronique – cyber-écrivains, designers web, illustrateurs numériques et même créateurs de jeux vidéo –, afin de faciliter l’intégration de nouvelles formes d’expression dans le « périmètre d’action » de l’industrie éditoriale. Il serait également intéressant de stimuler les liens entre éditeurs et créateurs des différentes régions en développement, pour renforcer, encore une fois, les relations Sud-Sud. Ces initiatives peuvent être mises en œuvre en collaboration avec le secteur public et les ONG de chaque région.

5) Il sera aussi essentiel d’élargir les réseaux d’éditeurs en les orientant vers le domaine de l’électronique. Des groupes comme le Young Publishing Entrepreneur[1] – parrainé par le British Council et le Salon du livre de Londres – comptent déjà parmi leurs membres des entrepreneurs numériques. L’Alliance internationale des éditeurs indépendants pourrait également lancer des invitations pour que de nouveaux acteurs entrent dans l’organisation puisque – comme nous l’avons mentionné – la bibliodiversité dépendra, dans nombre de pays en développement, de la faculté des éditeurs à utiliser parfaitement les technologies numériques.


Notes    
  1. Cf. Publishing, Young Creative Entrepreneurs.

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