• Sommaire

    • [+]Préliminaires (3)
    • [+]Introduction (4)
    • [+]Amérique latine (13)
    • [+]Afrique subsaharienne (9)
    • [+]Monde arabe (11)
    • [+]Russie (11)
    • [+]Inde (11)
    • [—]Chine (9)
    • [+]Conclusions (6)
    • [+]Annexes (1)

Chine

Écosystèmes et agrégateurs numériques privés

Comme nous l’avons signalé dans d’autres sections, une manière d’échapper au processus de cannibalisation des prix qui touche les industries du hardware et de la vente en ligne est de développer des écosystèmes qui intègrent différentes entités commerciales. Dans le cas de l’édition numérique, une alternative serait d’articuler la vente de contenus avec la distribution d’un dispositif propre.

On rencontre en Chine bon nombre de projets élaborés selon ce principe. Shanda Interactive Entertainment en est l’exemple le plus connu. Fondée en 1999, cette entreprise de jeux vidéo et autres applications multimédia basée à Shanghai a acquis une renommée mondiale après avoir présenté Shanda Literature, son portail de littérature en ligne, au cours du Salon de Francfort 2009 : il s’agit d’un univers composé de centaines de milliers d’écrivains et de plus de 10 millions de lecteurs actifs qui feuillettent au total plus de 500 millions de pages par jour. Le visiteur peut consulter certains passages gratuitement et, pour lire le texte complet, ne doit payer qu’un petit montant. Grâce à Shanda, quelque 1 000 écrivains reçoivent déjà environ 10 000 dollars par an, tandis que les 20 auteurs les plus lus gagnent des sommes supérieures à 100 000 dollars. Shanda a fait l’acquisition d’autres portails de lecture et d’écriture en ligne – Qidian, Hongxiu et ReadNovel, entre autres. Selon ce qu’on peut lire sur son site web, l’entreprise contrôle 90 % de la littérature web en Chine. Un catalogue a ainsi été constitué qui comprend des centaines de milliers d’œuvres, réunies aujourd’hui au sein de ce que Shanda a baptisé la Librairie dans les Nuages. Là, les lecteurs peuvent voir en temps réel quel est le texte le plus demandé, consulter des comptes-rendus, interagir avec d’autres lecteurs, et même avec l’auteur lui-même [1]. Ces options ont été inspirées par le fonctionnement de réseaux sociaux en ligne qui, comme QQ, Renren, Kaixin001 ou TX, font fureur en Chine, particulièrement parmi les utilisateurs les plus jeunes [2]. La Librairie dans les Nuages peut être consultée à partir de multiples terminaux – ordinateurs, téléphones portables, tablettes –, mais en particulier à partir du Bambook, un e-reader que la compagnie a présenté en août 2010. Ce dispositif, dont l’écran à encre électronique est de 6 pouces, compte avec une interface complètement en chinois ; son modèle le plus économique coûte autour de 150 dollars, soit un prix proche de celui du Kindle 3 aux États-Unis [3]. Le coût de fabrication du dispositif se situe autour de 250 dollars ; on comprend donc que l’entreprise subventionne le produit et espère compenser ses pertes grâce à la vente de contenus [4]. Le succès de son entité commerciale consacrée à la littérature a conduit Shanda à tester l’édition sur papier de ses titres les plus lus. Pour cela, elle a acquis des actions dans différentes maisons d’édition traditionnelles comme Tianjin Chinese-World Books. Simultanément, grâce à sa maîtrise du multimédia, Shanda a transformé certains de ses textes en jeux vidéo et en films – ça a été le cas avec le film Lian’ai Qian Gui ze (Quelques règles avant l’amour), inspiré du roman en ligne Yukongjie Tongju De Rizi (Ma colocataire l’hôtesse de l’air). D’autre part, la compagnie possède également des sites d’audiolivres – comme Tingbooks [5] – et de revues numériques – comme Zubunet –, qui totalisent 300 millions d’utilisateurs enregistrés [6].

Shanda s’est trouvée dans l’obligation d’entamer des poursuites contre d’autres portails qui hébergeaient ou diffusaient des versions non-autorisées d’œuvres figurant dans son catalogue. L’une des cibles de Shanda, Baidu, est le principal moteur de recherches en Chine. Il s’est attiré les foudres de Shanda à cause de Wenku, un service qui permet de partager des documents en ligne [7]. Outre les poursuites légales, Shanda a riposté en annonçant en octobre 2010 le lancement de son propre moteur de recherches [8]. Baidu a alors contre-attaqué en présentant quelques semaines plus tard une plate-forme de ventes d’e-books qui, malheureusement, n’a pas rencontré le succès escompté parmi les éditeurs et les auteurs : en février 2011, le site ne totalisait qu’une centaine de titres à la vente [9]. Outre ses démêlés avec Baidu, Shanda a également intenté des procès à Mop [10], QQ Games [11] – propriété de Tencent – et encore d’autres sites, ce qui indique que la compagnie prend très au sérieux la question des droits d’auteur. Ainsi que l’explique Hou Xiaoqiang – PDG de Shanda :

Shanda Literature constitue en réalité une société de copyright, autant en ce qui concerne sa production que sa distribution. Produire du copyright, c’est comme cultiver un jardin. Nous devons rencontrer le meilleur sol et épandre des fertilisants de grande qualité ; ce n’est que de cette manière que nous aurons une excellente récolte. Simultanément, nous devons conserver les fruits que nous avons obtenus et trouver les différents circuits pour les vendre. En l’occurrence, nous distribuons du copyright par le biais de circuits wireless, en ligne, hors ligne, et autres [12].

Finalement, Shanda a signé un accord avec l’agence de presse Xinhua News dans l’objectif de distribuer des contenus par le biais de la plate-forme de cette dernière [13], ce qui indique que le notable dynamisme de l’entreprise dans le domaine privé – acquisitions de sociétés plus petites, cotisation au NASDAQ depuis 2004 [14] – est complété par une stratégie de coopération avec le secteur public.

Il n’est pas facile d’anticiper l’issue de la lutte entre Shanda et les entreprises contre lesquelles elle est aux prises, tant localement qu’internationalement. Quoi qu’il en soit, la compagnie a édifié un écosystème d’une énorme importance dans le monde de l’édition électronique globale, comme l’observe Hou Xiaoqiang :

Il est clair que les États-Unis sont plus avancés en matière de technologie web, mais notre idée et notre succès en ce qui concerne Internet et la littérature mobile sont uniques en leur genre [15].

Un autre acteur de poids est sans conteste Apabi, le bras digital du groupe technologique Founder qui, depuis 2001, propose des solutions informatiques pour le monde éditorial. Parmi ses principales innovations, on pourrait mentionner : le format CEB – Chinese e-book – ; l’Apabi Reader – une application de lecture pour ordinateurs et iPads [16] –, un viewer de journaux et de revues en ligne, et enfin son propre DRM, qui a déjà reçu de nombreuses récompenses [17]. Ces développements sont actuellement utilisés par des milliers de centres éducatifs, des centaines de périodiques et – selon des données fournies par l’entreprise – 90 % des maisons d’édition locales. Penguin China, par exemple, a annoncé en avril 2009 qu’elle choisirait Apabi comme partenaire stratégique pour distribuer les e-books au format CEB [18]. En août 2010, l’entreprise technologique a, de plus, présenté son U-reader Mini Study, une clé USB jouant le rôle d’étagère portative de livres électroniques. De cette manière, un étudiant peut emprunter un e-book à la bibliothèque de son université et l’emmener chez lui ; le système « rendra » automatiquement le livre lorsque la date de validité du prêt expirera [19]. Grâce à divers accords avec les éditeurs et les auteurs, Apabi a rassemblé un catalogue numérique de plus de 600 000 titres placés sous la protection d’un copyright, et qui peuvent être feuilletés, commentés et achetés par le biais du portail Fanshu – un projet conjoint de Founder et du moteur de recherches Zhongsou – à des prix qui dépassent rarement les 3 dollars. Ces publications sont conçues pour fonctionner sur n’importe quel dispositif, mais spécialement sur le WeFound [20], un e-reader développé par Founder et Aspire [21]. Cet appareil présente un aspect très semblable à celui du Kindle 2, quoique son prix, lui, diffère considérablement, puisqu’il dépasse les 500 dollars [22].

Comme nous le rapportions au début de ce chapitre, le fabricant Hanvon mise sur son positionnement comme distributeur de publications numériques pour traverser sans coup férir la dévastatrice guerre des prix. En ce sens, il peut se présenter comme un troisième écosystème qui associe hardware et contenus. Selon les déclarations de son directeur, les trois premières années de Hanvon ont été centrées sur les e-readers, mais les 3 prochaines seront orientées vers la plate-forme de publications, qui s’enorgueillit déjà de 130 000 e-books, 100 périodiques et plus de 200 revues numériques [23]. Il faut souligner que Hanvon est l’une des rares compagnies privées à disposer de l’autorisation gouvernementale pour reproduire et distribuer des livres électroniques [24]. La compagnie a en outre mené des incursions au-delà de la Chine continentale : elle a annoncé la mise en place de portails de vente à Hong Kong [25] et à Taïwan [26].

Outre ces trois grands écosystèmes, il existe de nombreux agrégateurs qui luttent pour leur survie, comme ChineseAll. Inauguré en l’an 2000, ChineseAll a été l’une des premières entreprises à vendre des livres électroniques en Chine. Grâce à un investissement soutenu [27], elle a réuni un fond de plus de 100 000 livres au format PDF, en provenance de quelque 300 maisons d’édition et 1 000 auteurs [28], qui se vendent en Chine et à l’extérieur du pays [29]. À ce jour, l’entreprise n’a pas développé son propre e-reader, préférant s’allier avec Hanvon et des opérateurs de téléphonie mobile pour distribuer ses textes. Tong Zhilei, le créateur de ChineseAll, a rapidement compris que le piratage constituait un sérieux obstacle à son business model. Il a donc fondé en 2005 l’Association chinoise contre le piratage (COAPU), obtenant, depuis, des dizaines de victoires légales contre d’autres sites qui reproduisaient certains de ses e-books sans autorisation [30]. La lutte, selon Tong Zhilei, ne doit jamais cesser :

Une publication électronique est en soi une dissémination de contenus numériques, et toute dissémination requiert des autorisations. L’essence de l’édition numérique réside dans le copyright numérique. Le copyright est donc indispensable pour l’édition numérique. Chaque publication représente un processus au cours duquel on délivre des licences et négocie des droits. Dans ce cadre, le piratage constitue le plus gros écueil [31].

D’autres acteurs, plus petits mais très dynamiques, commencent aussi à apparaître en dehors des frontières de la Chine continentale. Prenons comme exemple l’entreprise taïwanaise Book11, fondée en juin 2009 et dont Chi-Lin Technology est le principal actionnaire. Le portail cherche à se convertir en la principale plate-forme internationale de vente d’e-books en langue chinoise. Les publications distribuées par Book11 sont en général des romans et des bandes dessinées conçus pour n’importe quel type de dispositif.

Comme nous l’avons vu, les plate-formes chinoises ont coutume d’agir sur différents fronts pour défendre leurs business models. Les options sont : 1) construire des écosystèmes qui articulent contenus et hardware ; 2) distribuer les publications dans le plus grand nombre de formats possibles ; 3) entamer des poursuites contre d’autres sites quand ils sont en infraction ; 4) exporter des contenus ; 5) établir des alliances avec différents secteurs gouvernementaux, maisons d’édition publiques ou centres éducatifs.

Il est évident que la collaboration avec le secteur public est une alternative obligée dans un pays comme la Chine où l’État conserve une grande latitude d’action puisqu’il supervise, régule, finance et transforme de façon permanente presque toutes les sphères de la vie économique et culturelle. Dans l’industrie du livre, le secteur public mise clairement sur la reconversion au numérique. Ce phénomène est manifeste et mérite d’être analysé dans les détails.


Notes    
  1. Cf. “Tech innovations boost digital publishing”, CNBroadcasting, 8 octobre 2010.
  2. Mais toujours sous la stricte vigilance de l’État. À ce propos, on peut consulter le rapport de la société de consulting Synthesio datant de janvier 2011 : Social media and censorship in China.
  3. Cf. http://bambook.sdo.com/.
  4. Cf. Miao Yang : , ifeng.com, 24 août 2010.
  5. Cf. Kefeng Xiao : , Do News, 25 août 2010.
  6. Cf. , .
  7. Cf. “Shanda Literature Sues Baidu Again”, Marbridge Consulting, 4 novembre 2010.
  8. Cf. , China Publishing Today, 27 octobre 2010.
  9. Cf. Xiaoshan Liao : , Chinaxwcb, 27 janvier 2011.
  10. Cf. “Shanda Sues Mop.com Over Qidian Content”, Pacific Epoch, 22 octobre 2007.
  11. Cf. “Shanda’s Mochi Media vs. Tencent: Has Piracy Gone Corporate?”, Digital East Asia, 22 janvier 2011.
  12. Cf. Anne Zhang : “Shanda Literature: Making Money from Copyright”, China IP.
  13. Cf. , Administration générale de la presse et de l’édition de la République populaire de Chine, 6 décembre 2010.
  14. Cf. “Investor FAQs”, SNDA. SNDA est le sigle sous lequel Shanda est cotée au NASDAQ.
  15. Cf. “Shanda Literature: fiction from creative amateurs”, Salon du livre de Francfort.
  16. Cf. “Apabi Reader”, iTunes Preview.
  17. Cf. “DRM (Digital Rights Management)”, apabi.cn.
  18. Cf. “Penguin Group Makes Three Major International Announcements at The London Book Fair”, Penguin Blog (États-Unis), 21 avril 2009.
  19. Cf. Chen Jing : “Tech innovations boost digital publishing”, China Economic Net, 27 septembre 2010.
  20. Cf. http://www.wefound.com.cn/.
  21. Cf. “Founder’s Solution Package for Digital Publishing Made a Great Appearance at ICCIE”.
  22. Cf. “Shop”, Wefound. Le prix inclut, pour une durée de trois ans, l’accès à Internet et une connexion permanente au site de Apabi.
  23. Cf. , people.com.cn, 6 décembre 2010.
  24. Cf. , Administration générale de la presse et de l’édition de la République populaire de Chine, 5 novembre 2010.
  25. Cf. , publishing.com.hk, 8 septembre 2010.
  26. Cf. “China’s biggest e-reader maker Hanvon launches new online store in Taiwan”, The China Post, 28 décembre 2010.
  27. Cf. Si Lin : “Chineseall.com Spends 10 Million Yuan on Copyright Deals”, China Publishing Today, 14 décembre 2009.
  28. Cf. , .
  29. En 2009, OverDrive y ChineseAll ont signé un accord pour distribuer des œuvres en chinois dans les bibliothèques publiques nord-américaines. Cf. Andriani, Lynn : “OverDrive in Deal with ChineseAll”, Publishers Weekly, 18 mai 2009.
  30. Cf. “Copyright wrongs”, China Cultural Industries.
  31. Cf. Li Wei : When COAPU is no longer needed, then we will be successful’—Interview with Tong Zhilei, Secretary General of COAPU”, China IP.

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