Coûts du livre papier, coûts du livre numérique : une comparaison

13/03/2013 / Gilles Colleu

Il est beaucoup plus complexe de faire un prévisionnel dans le livre numérique que dans le livre papier. Afin d’y voir un peu plus clair Gilles Colleu, de l’équipe du Labo numérique de l’Alliance, nous propose ici une fiche pratique comparant la répartition des coûts dans les deux modèles d’édition. 

Calcul « papier »

La répartition des coûts pour un livre papier est approximativement celle-ci :

  • Libraire : 33 à 40 %
  • Diffusion : 10 à 12 %
  • Distribution 7 à 8 %.

Soit environ 55 % pour les aspects de commercialisation.

  • Fabrication : 12 à 20 %
  • Promotion, communication : 0 à 10 %
  • Auteur : 6 à 12 %
  • Marge d’exploitation : ce qui reste…

C’est avec cette marge d’exploitation que l’éditeur paye ses frais de structure (loyer, installation, matériel, électricité, téléphone, etc.) de personnel et dégage parfois un bénéfice. Si on prend l’exemple d’un livre à 20 € TTC (TVA à 5,5 %) et des droits d’auteur à 10 %, l’auteur touchera 20/1,055 x 0,1 = 1,896 € par exemplaire vendu.

Si la politique de la maison d’édition est de verser un à-valoir, celui-ci sera calculé sur cette base en fonction du tirage (ou plutôt des espoirs de vente). Par exemple, si l’éditeur estime pouvoir vendre 2 000 exemplaires la première année, il peut fixer l’avance consentie à 50 % de ces ventes soit 1 000 x 1,896 € = 1 896 € qu’il aura l’élégance d’arrondir à 2000 €.
Mais il n’y a aucune règle pour la fixation de cette avance : entre 0 et 3 792 €, cela dépend du risque que l’éditeur est prêt à prendre, de sa capacité de trésorerie et de la relation avec l’auteur notamment. Au-delà on est soit dans une gestion aventureuse, soit dans un investissement à plus long terme (politique d’auteur, communication, prestige, etc.) qui permet d’augmenter les risques.

Même en tenant compte des droits dérivés, les prévisions sont relativement faciles à faire pour le papier, grâce au prix unique, à l’expérience accumulée, etc. Pour le numérique en revanche, c’est un peu plus complexe…

(Photo: Maximilian Schönherr, 2011)      

Calcul pour le numérique

Commercialisation

Le livre numérique peut être vendu via des plateformes de distribution fort différentes. Les taux sont extrêmement variables selon si l’éditeur est en relation direct avec le revendeur ou s’il passe par un « grossiste » numérique, selon sa taille, les formats, les pays où le livre est acheté, etc. Par exemple, un éditeur faisant moins de 20 000 € de chiffre d’affaires avec Amazon devra consentir une remise de 50 % (!). S’il réalise un chiffre d’affaires plus important, sa remise sera plus basse : les éditeurs d’une certaine taille ont ainsi une remise d’environ 30 %.

Pour avoir accès à certaines grosses plateformes, un éditeur indépendant peut tenter de signer un contrat en direct, mais c’est souvent assez laborieux et certaines dissuadent les «petits» par des remises dissuasives… Il peut aussi passer par un agrégateur qui jouera le rôle de grossiste pour ces éditeurs, ou encore accepter les conditions de son diffuseur qui a souvent lui-même signé avec un de ces agrégateurs.

Les diffuseurs « papier » ont effectivement tendance à faire signer de manière systématique des clauses de diffusion numérique aux éditeurs et leur proposent souvent des taux peu différents (voir plus élevés !) que ceux du secteur papier.

On voit ainsi une encore plus grande disparité entre les éditeurs puisque la remise peut passer de 28 à 55 % selon leur taille.

Par ailleurs, les plateformes de vente sont situées dans divers pays aux TVA très différentes. Apple et Amazon sont ainsi au Luxembourg (TVA 3 %), la Fnac en France (TVA 7 %), Google en Irlande (TVA 23 %). Cela signifie qu’à prix public identique, la marge de l’éditeur est inférieure de 20 % si son livre est vendu sur Google Play plutôt que sur Amazon.

Il faut également noter que même si le prix unique s’applique pour le moment en France de manière très volontariste, il est probable qu’au niveau européen cela soit remis en cause. Même chose pour le contrat d’agence, dénoncé aux Etats-Unis par le ministère de la justice (DOJ) au grand dam des éditeurs et au grand bonheur d’Amazon…

On lit ici et là que le numérique devrait coûter beaucoup moins cher, mais on voit que les coûts de commercialisation peuvent être assez proches de ceux du livre papier, du fait de la position dominante des grands distributeurs. On pourrait supposer qu’il est nécessaire de créer une plateforme plus accueillante et moins coûteuse pour les éditeurs indépendants. Pour le moment, les quelques essais réalisés ont été très décevants, commercialement parlant.

Fabrication

Le discours habituel consiste à dire que cela ne coûte rien de fabriquer un livre numérique parce qu’il n’y a pas de papier et pas d’impression. En réalité c’est assez faux et peut-être encore plus faux pour les faibles tirages qui constituent, hélas, la catégorie la plus présente chez les éditeurs indépendants.

Pour simplifier un peu, on peut considérer que le coût le plus important pour un faible tirage, ce sont les frais fixes : le prépresse (composition, photogravure, etc.) et le calage des machines. Or, dans le numérique les postes du prépresse sont également présents. Pour considérer que ces postes sont inexistants deux conditions sont nécessaires : qu’il existe une édition papier parallèle à l’édition numérique et que l’on fasse supporter à la seule édition papier les coûts de prépresse. C’est effectivement ce que font les éditeurs actuellement avec le risque à assez court terme que les tirages papier baissent encore, ce qui augmente la part de frais fixes, entraîne le prix de vente au public dans une spirale ascendante et provoque une baisse du nombre de ventes : bis repetita…

Donc, si on fait supporter une partie, ou la totalité si on est exclusivement en numérique, des coûts du prépresse sur l‘édition numérique, on se rend compte que les coûts d’établissement d’une telle édition ne sont pas si négligeables, et sont difficiles à compenser par des ventes encore assez faibles dans ce domaine.

En revanche la transformation en fichier numérique des mises en page papier peut-être effectivement très bon marché si l’éditeur a pris soin d’inscrire ses processus dans une logique de publication multiformats et multisupports. C’est possible avec InDesign, Xpress, Scribus, encore faut-il que l’éditeur fasse l’effort de formation nécessaire. Sinon, la réalisation des fichiers n’est pas si simple et il est plus réaliste de s’adresser à un prestataire extérieur qu’il faudra payer, bien sûr.

Promotion, communication

Là encore, on peut faire supporter l’intégralité du budget sur le livre papier ou le répartir. Il faut noter que passer du temps sur les réseaux sociaux, et les blogs,  prend un temps important qu’il serait bon de comptabiliser dans le budget de chaque livre.

Et l’auteur dans tout cela ?

On voit qu’il est bien difficile de fixer une rémunération prévisible pour l’auteur : l’assiette peut changer, chaque vente peut générer une marge différente, et indexer sa rémunération sur un pourcentage du prix public HT comme pour le papier n’a pas la même légitimité. Donc on compose, et on s’accorde à dire que pour le moment, c’est entre 15 et 25 %.

Un autre paramètre important à prendre en compte est aussi le fait que puisque le prix de vente numérique est souvent plus bas que le livre papier, la rémunération de l’auteur est, en volume, souvent inférieure.

Exemple de calcul :

Dans notre exemple précédent, le livre papier vendu 20 € TTC rapportait 1,896 € par exemplaire vendu. 1 000 livres vendus lui rapportaient donc 1 896 € brut.

Pour le numérique, si on se fixe sur un prix de vente TTC de 7 €, qui semble un prix de marché acceptable par les lecteurs, on aura un prix HT fluctuant selon les revendeurs. Mettons que l’on aboutisse à une moyenne de TVA de 10 %, cela met donc le prix HT à 6,30 €. 20 % de droits d’auteurs entraînent une rémunération de 1,26 € par exemplaire. Pour 1 000 exemplaires vendus (et c’est une valeur bien élevée pour ce secteur et pour le moment), la rémunération de l’auteur sera de 1 260 €.

Dans ce même exemple, on voit que la marge de l’éditeur est d’environ 100 – 55 (commerce) – 10 (promo) – 20 (auteur) = 15 % pour l’éditeur, soit 0,945 € par exemplaire et 945 € pour les 1 000 ventes.

Pas sûr malheureusement qu’il puisse avec cela payer ses frais de fabrication et de structure…

 

Gilles Colleu

A propos de l'auteur

Gilles Colleu a créé et dirige avec Jutta Hepke les éditions Vents d’ailleurs dont le catalogue tente d’établir des ponts entre cultures du Sud et cultures du Nord. Ses travaux les plus récents interrogent les aspects socio-économiques et les mutations du secteur opérées par, entre autres, sa financiarisation et la marchandisation du livre. Il a rejoint en 2002 l'Alliance des éditeurs indépendants, dont un des combats concerne la défense de la bibliodiversité. Au fil des colloques, des interventions et des articles, il insiste plus particulièrement sur les mécanismes qui mettent en danger notre diversité culturelle à l’échelle mondiale. Il a publié à l'Alliance des éditeurs indépendants l'ouvrage : Éditeurs indépendants : de l'âge de raison vers l'offensive ? et collabore au sein de celle-ci à l’élaboration d’une définition de l’éditeur indépendant de création.
  • Cedric Gémy

    Il me semble que le secret est peut-être d’essayer de se passer autant que possible de ces plateformes qui abusent de leur position pour imposer des conditions insoutenables, avec l’argument éventuel de la protection par DRM ou du suivi.
    En prenant les choses un peu différemment, les auteurs peuvent eux-mêmes se vendre sur ces plateformes, sans passer par les éditeurs. Ce qui ne rend pas la situation meilleure. En revanche, la distribution est changée beaucoup plus que l’édition dans le modèle numérique. Les éditeurs peuvent posséder leur propre plateforme de vente en ligne, ou encore choisir celles qu’ils souhaitent utiliser, ou encore se regrouper… Les possibilités sont multiples. En lançant “ebooks du monde” nous espérons donner cette chance aux petits éditeurs en valorisant la distribution par le biais du site à seulement 10 à 20% du prix du livre électronique. Cela laisse 80% pour auteurs et éditeurs soit un peu plus de 5 euros pour un livre à 7. La donne est donc complètement changée et même si ce site aura moins de visibilité, le jeu peut en valoir la chandelle.
    On pourrait imaginer des modèles avec des auteurs mieux rémunérés, ou encore supporter l’édition papier des ouvrages au succès incertain mais qui se seraient bien comportés en version électronique.


  • NickBangO

    “En revanche la transformation en fichier numérique des mises en page papier peut-être effectivement très bon marché si l’éditeur a pris soin d’inscrire ses processus dans une logique de publication multiformats et multisupports. C’est possible avec InDesign, Xpress, Scribus, encore faut-il que l’éditeur fasse l’effort de formation nécessaire. Sinon, la réalisation des fichiers n’est pas si simple et il est plus réaliste de s’adresser à un prestataire extérieur qu’il faudra payer, bien sûr.”

    Hum, ouais, attention quand même avec InDesign, Quark et consorts qui sortent des fichiers à la qualité plus que médiocre même si on suit des directives ultra strictes pour atteindre une qualité maximale. Si personne n’intervient à la main derrière pour corriger les absences et lacunes de ces softs, autant balancer une prière en espérant qu’aucun lecteur ne va souffrir de bugs.

    Je parle d’expérience, c’est mon boulot, et un presta qui n’intervient pas sur un fichier après export iD, Xpress, etc., c’est un mauvais presta, formé ou pas (les évangélistes, surtout du côté de chez Adobe, qui interviennent souvent dans ces formations, sont très forts pour faire croire que tout va bien alors que le logiciel a des lacunes monstrueuses au niveau de l’export EPUB… et qu’il faudra des années aux développeurs Adobe pour proposer quelque chose de correct).

    Pour illustrer, InDesign n’exporte même pas une feuille de styles CSS parfaitement adaptée à son propre moteur de rendu, utilisé par 90 % de l’industrie, ces mêmes feuilles de styles ne respectent pas un principe de base du langage : l’héritage. Je ne parle même pas du support HTML ultra déficient puisqu’on ne peut pas viser l’objectif de balisage sémantique correct…

    Je dis ça, je dis rien, mais InDesign et Quark, les vrais pros du livre numérique le subissent plus qu’autre chose. Et je dirais même que dans certains cas, ils peuvent faire augmenter le coût de la prestation. Une bonne fois pour toutes, ces logiciels sont des plaies, et il y a des professionnels très compétents qui disposent de workflows ultra performants pour gérer le numérique en même temps que le papier, sans utiliser du tout ces logiciels… Et les éditeurs qui en bénéficient ne s’en portent franchement pas plus mal. Ça ne fera pas plaisir que évangélistes Adobe, mais si ceux-ci préfèrent perdre leur temps à produire des bouquins dont ils auraient honte en papier (par comparaison), grand bien leur fasse puisqu’ils nous refilent des clients mécontents.


    • Gilles Colleu

      Oui… et non !

      Évitons le manichéisme Indesign vs “tout à la main”.
      Moi aussi je travaille dans la partie ;-) et réalise et fais réaliser quelques centaines (milliers ?) d’epub par an : reflow, fixed, epub3, scripted, etc. : les soi-disant prestataires spécialisés sont aussi capables de fournir un code immonde avec des css plus longues que le texte lui-même !

      Bien sûr, une mise en page mal faite, avec des blocs partout, pas de styles, etc., produira un epub particulièrement mauvais et inutilisable s’il est directement exporté.
      Mais le problème d’Indesign, par exemple, n’est pas tellement sur l’export de l’epub mais de la manière dont sont formés les fichiers : si vous utilisez correctement les styles de paragraphes, caractères, tableau, objets, etc., et que en plus vous utilisez une CSS externe réalisée selon les règles de l’art, je vous assure que vous obtenez quelque chose de très correct et infiniment plus facile à manipuler et peaufiner que les fichiers produits par une usine à gaz raffinant du PDF automatiquement, largement utilisés par des prestataires autoproclamés spécialistes de l’epub… ;-)
      Les questions d’héritage et cie sont des faux problèmes, c’est très possible d’utiliser cela avec ID ou Scribus via les CSS externes.

      Là où je vous rejoins, c’est dans l’absolue nécessité de faire un dernier passage dans un logiciel manipulant correctement l’epub : Oxygen, par exemple (qui fera aussi la validation via epubCheck).
      Là ou je vous rejoins également c’est dans la critique de l’absurdité de la communication d’Adobe qui consiste à dire “cliquez et s’est prêt !”.

      Mais il est plus créatif pour un éditeur ne voulant pas normaliser à outrance sa production, de laisser toute latitude aux metteurs en pages : il serait trop long de rentrer dans le débat XML pivot vs MEP pivot, mais c’est bien avec un logiciel de mise en page que l’on peut faire appel aux compétences des graphistes, typographes, etc., et à des finesses de mise en page impossibles à réaliser autrement (approches, coupes, travail sur les cheminées, fin de paragraphes, exergues et citations, rapport texte/image, etc.). Impossible parce que dépendant d’une mise en page fixe, volontairement figée.
      On travaille pour le papier en statique alors que pour l’epub (reflow) nous sommes en dynamique : cela change de tout au tout la notion même de page. Je ne mets pas de hiérarchie entre les deux mais impose aux prestataires de donner le meilleurs d’eux-mêmes que la mise en page soit statique ou dynamique. Il s’avère que les résultats (je parle de qualité et de rapport au contenu) sont bien meilleurs et le flux plus simple à organiser de statique vers dynamique. D’autres font l’inverse mais c’est un vieux débat qui existe depuis le SGML… (En fait, un mix en parallèle est assez idéal mais complexe à organiser industriellement)

      Cela passe bien sûr par une formation spécialisée des metteurs en page pour leurs faire comprendre de quoi est fait le numérique… et aux codeurs de quoi est fait un livre (parce que là aussi, il y a beaucoup à dire !).

      Bref, si on est dans le cadre d’une édition purement numérique, avec Oxygen, par exemple, on se passe très bien de Indesign et consort. Si on doit récupérer de vieux fichiers mal formés, on s’en passe aussi et un soft comme Izako Studio (bonjour Salev…) fera très bien son travail. Mais si on veut faire du cousu main multisupport, avec un travail très fin sur le papier, il n’est pas aberrant, loin de là, d’utiliser les logiciels de mise en page. (Et si Adobe vous file des boutons, Scribus s’améliore de jour en jour…).

      Rien ne doit être totalement automatique : autant faire en sorte que les compétences des metteurs en page et des “codeurs” s’additionnent plutôt qu’elles ne se remplacent… la littérature ne s’en portera que mieux !


  • Cedric Gémy

    Je suis moi-même favorable aux logiciels libres et développeur de Scribus et d’Inkscape. Il n’en reste pas moins que l’équipe de Scribus en reste pourtant au PDF, dont ils améliorent grandement le support mais le discours est différent pour Epub. Le passage par Sigil et Calibre est donc obligatoire. Bien un fichier Scribus est du XML et il existe déjà de nombreuses tentatives de faire des convertisseurs. J’ai déjà formé plusieurs imprimeurs à ces changements et tous n’utilisaient pas du libre. Dans tous les cas, libre ou pas libre, le conseil a donné est vraiment de clarifier le flux de production et de s’y tenir, sinon le travail devra être refait à chaque fois ce qui est chronophage.


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